De la nécessité du média-training

Dans un billet précédent,  je mentionnais qu’à trop entraîner une prise de parole, on tuait l’effet de sa prestation. Aujourd’hui, j’aimerais démontrer que trop peu (voir aucune) préparation peut être encore pire. À trop s’entraîner, on glisse dans la langue de bois. Trop peu entraînés, vous serez perçus comme n’étant pas à la hauteur de votre tâche. Et, en cas de crise, ça peut vous coûter très cher.

Présenter les choses sous leur meilleur jour (et sans jamais mentir, cela va de soi) cela s’apprend et s’entraîne. On ne le répétera jamais assez: il est important que les personnes qui occupent des postes clés participent régulièrement à des séances de média-training. L’expression face à un micro ou à une caméra répond à des règles différentes qu’un échange normal et il est donc important d’exercer cette manière de communiquer pour être paré à réagir au mieux en cas de crise. Le minimum idéal étant de trois sessions de média-training par an.

Pour illustrer le besoin de s’exercer à la formule face caméra, prenons comme exemple la phrase suivante:


« Il n’y a pas que du texte dans cette brochure ». En média-training on vous apprendra systématiquement à reformuler vos phrases de manière positive, par exemple de la manière suivante: « La brochure inclut également des illustrations ».

Une brochure illustrée est perçue inconsciemment comme étant de qualité supérieure alors même si vous devriez dire: « Il n’y a pas d’illustrations dans cette brochure », on vous apprendra plutôt à dire: « Cette brochure est uniquement constituée de textes ». Le message est le même, mais dans un cas on communique de manière positive, dans l’autre de manière négative. Être capable de faire systématiquement de telles phrases en situation d’interview demande de l’entraînement.

Passons à l’étude d’un cas pratique, celui d’Isabel Rochat, Conseillère d’Etat responsable du Département de la sécurité, de la police et de l’environnement du Canton de Genève. Interviewée par la Télévision suisse romande, le 14 août 2011, à la suite de l’agression d’un fils de diplomate dans les rues de Genève, elle offre l’analyse suivante:

http://www.tsr.ch/v/embed/Dyf0  [dès 1’28 »]

À l’accusation que l’information a été dissimulée par la police, elle répond : Il n’est pas question de dissimuler une quelconque information.

Nous venons de le voir, il faut éviter de répondre par la négative à une question. Le cerveau de votre public retiendra cela comme une justification, pire, un aveu. Ici, la phrase prononcée après celle-ci aurait amplement suffit: « L’information a été communiquée par le service de presse de la police, 48 heures après l’agression ». Point. Vous répondez à la question en expliquant les faits, ne cherchez pas à vous justifier.

La ministre poursuit avec la formule suivante: Ce sentiment d’insécurité est principalement propagé par les médias.

Il vaudrait mieux éviter d’accuser les médias (dont le journaliste en face de vous fait partie) pour les manquements de votre propre organisation. Cela se retournera toujours contre vous. Et même si dans le fond c’était vrai, le sentiment d’insécurité ressenti par votre public ne s’évaporera pas par le simple fait de mentionner que c’est un problème uniquement médiatique. Le public attend de cette ministre des mesures pour renforcer le sentiment de sécurité, autres que de remettre la faute sur un autre. Alors, expliquez concrètement ce que vous faites, quelles mesures ont déjà été prises, celles qui sont planifiées. Il y a sûrement beaucoup de choses à partager.

Plus loin, elle nous livre que Genève se trouve [..] au centre de l’Europe et […] du monde et donc n’échappe pas à l’augmentation de la violence.

Sans mentionner la logique de l’argumentaire et le fatalisme qui en découle, il vaudrait mieux éviter les généralités. Ce que les téléspectateurs désirent savoir c’est avant tout ce que fait leur police concrètement pour justement contrer cette augmentation de la violence dont on ne peut s’échapper.

Parler aux médias n’est pas une science secrète mais bien un exercice qui peut être entraîné et on s’attendrait à ce qu’une personne occupant un poste, tel que celui de  Mme Rochat, ait la possibilité de participer régulièrement à de tels modules de formation.

Quelques mois plus tard, interviewée par le quotidien La Tribune de Genève*, à la suite d’une visite officielle à New York on peut lire l’échange suivant:

Comment vous-êtes vous sentie à New York?  Presque plus sûre qu’à Genève. Plus sérieusement, il faut faire la différence entre l’insécurité et la perception de l’insécurité. […]

Retenez ici qu’il ne faut jamais faire usage de l’ironie lors d’un interview. Si l’interview est filmé, la séquence peut être coupée et l’ironie des propos risque d’apparaître complètement hors contexte. Dans un article écrit c’est d’autant plus difficile, car il manque alors tout l’aspect non-verbal et para-verbal de la communication.

Quelques quatre mois plus tard, dans une autre interview ** accordée au quotidien genevois, en pleine crise entre le personnel de police et sa ministre, celle-ci nous propose la phrase suivante: Certains policiers estiment que je ne suis pas à leur écoute. Ce qui est faux. Et lorsque je suis présente, ils n’en profitent pas pour discuter avec moi.

Vous commencez à comprendre la mécanique. Ici, il aurait suffit d’exprimer la phrase de manière suivante: « Certains policiers demandent à être écoutés, maintenant que je suis présente ils devraient profiter de pouvoir discuter avec moi ». L’information communiquée est fondamentalement la même, mais à un niveau plus inconscient cette phrase permet de se positionner en tant que leader et non plus comme victime.

Poursuivons l’analyse: Je n’ai jamais quitté la table des négociations devrait devenir: « Je suis toujours prête à négocier », vous utilisez le présent, ce qui communique que vous êtes encore dans la dynamique, il y a une certaine ouverture, des possibilités,… la phrase est connotée positivement.

Plus loin: Je ne nie pas la pénibilité du travail des policiers ni sa dangerosité se transformerait en: « Je suis consciente de la pénibilité du travail des policiers et de sa dangerosité ».

À l’énoncé suivant du journaliste: Ils estiment notamment que vous ne tenez pas vos promesses et que vous leur manquez de respect. La ministre répond: La notion de respect est subjective. Nous l’avons vu, il faut absolument éviter les généralités. Mais cet exemple est encore plus grave car une règle d’or (et nous y reviendrons sur ce blogue) de la communication de crise est celle du respect porté à ses interlocuteurs et aux parties adverses. Ce qui nous est communiqué ici est que la notion que Mme Rochat à du respect semble primer sur la notion qu’en ont les policiers. En continuant sur cette pente ce n’est plus d’un média-training dont vous aurez besoin mais d’un médiateur.

À la suite de l’élection complémentaire de 2012 et du remaniement des postes qui s’ensuivit, Mme Rochat abandonnera le Département de la Sécurité au profit du Département de la Solidarité et de l’emploi. Pour beaucoup c’était là l’aveu d’un échec, et l’intéressée elle-même reconnaîtra en juin 2012*** qu’elle n’avait pas été faite pour être à la tête de la police. Cet interview sera là encore empli de formules négatives qui nous laissent toujours cette impression de justification de sa part (Pourquoi baissez-vous les bras? Je ne suis pas du genre à baisser les bras! […] Mais qu’avez-vous raté alors pour en arriver là? Je n’ai rien raté.).

Ce blogue n’a pas vocation à commenter le travail de fond de la ministre, mais uniquement la manière dont celui-ci est présenté et commenté par l’intéressée elle-même, pour vous démontrer que la communication est un aspect essentiel de tout travail. En effet, même un travail bien fait, présenté avec ce type d’erreurs de communication, ne pourra être que très mal perçu par le public. Si Mme Rochat se vantait** de ne pas prendre un journaliste sous le bras pour médiatiser ses actions et ses visites sur le terrain, elle devrait au moins retravailler sa manière de communiquer en interview. Car son style de communication, lui, n’était sûrement pas rattaché uniquement à son ancien département.

* Tribune De Genève, 16 septembre 2011, « Isabel Rochat veut s’inspirer de la police new-yorkaise ».

** Tribune De Genève, 10 janvier 2012, « Rochat: « C’est un dialogue de sourds » ».

*** Tribune De Genève, 29 juin 2012, « Isabel Rochat: « Prendre la Sécurité, c’était aller au casse-pipe » »

1 commentaire

  1. Des conseils et une analyse aussi incontournables qu’intemporels. Je le reprendrais bien volontiers sur mon blog si vous en êtes d’accord.

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