Les Voeux télévisés

En janvier 2010, les voeux de nouvel an de la Présidente de la Confédération helvétique avaient été sévèrement critiqués par le quotidien Le Matin. L’exercice fut qualifié de « statique, terne et monotone », trahissant « l’inexpérience de nos ministres en termes d’image médiatique » et ressemblant à un « sketch inédit des «Têtes à claques» québécoises ».

La prestation n’était effectivement pas à la hauteur de la référence dans le domaine et dont tout le monde se souvient encore, dix après: les voeux du Président Adolf Ogi pour l’an 2000.

En réponse aux critiques, Christophe Hans, chef de la communication de Doris Leuthard, rappelait qu’il convient de tenir compte «des aléas de l’exercice, qui nécessite que la Présidente s’exprime dans les trois langues nationales».

Pourtant, la version allemande des voeux n’était pas meilleure.

Si pour Le Matin, la Présidente semble « plus à l’aise en allemand » et « son ton […] plus coulé », la version germanophone fut également critiquée outre-Sarine. La Présidente y fut qualifiée de « distante », « monotone » et « rigide », sa prestation de « non-naturelle » et « sans effets durables ».

L’exercice ayant été jugé de manière similaire dans les deux langues, l’excuse linguistique donnée par Christophe Hans n’explique donc en rien pourquoi la prestation est considérée comme ratée par le public.

Selon la théorie de la communication traditionnelle, l’impact de notre communication est mesuré inconsciemment par notre public à 55% d’après le langage du corps, à 38 % d’après le ton de notre voix et à 7 % d’après les mots utilisés. C’est donc notre corps qui a le plus d’impact dans notre communication, bien avant la facilité à s’exprimer dans une langue ou une autre.

Le problème n’est donc pas dans la langue, mais bien dans le corps. Regardez les deux vidéos ci-dessus sans le son et essayez de deviner la langue qu’utilise la Présidente dans chacune d’elles. Voyez-vous une différence dans son langage corporel?

Le corps de la Présidente s’exprime bien de manière identique dans les deux séquences.

À deux détails près: les lèvres semblent bouger plus rapidement dans la langue maternelle de la Présidente (ce qui fait du sens) – d’ailleurs, la vidéo germanophone fait presque une minute de moins que la version francophone. Et la main droite semble s’agripper plus fortement au bras gauche dans la séquence germanophone que la séquence francophone (ce qui indique un certain contrôle).

En l’an 2000, les prestations francophone et germanophone d’Adolf Ogi avaient également été jugées de manière similaire dans les deux langues (positivement cette fois-ci). Encore une fois, l’aisance à s’exprimer dans une langue n’a eu aucun effet sur l’impact ressenti par les téléspectateurs. Et là encore, les deux séquences sont similaires au niveau du langage du corps. Regardez (sans le son!):

Avez-vous réussi à identifier où se trouve la différence fondamentale entre la prestation de Doris Leuthard et celle d’Adolf Ogi?

Elle est très simple: Adolf Ogi fait des gestes. Alors que Doris Leuthard exerce un contrôle sur elle-même avec ce bras qu’elle agrippe: elle s’empêche de faire des gestes, de devenir plus spontanée.

Selon Stephen Bunard, synergologue français, qui a étudié le langage du corps des personnes perçues comme de bons communicants, un bon communicant est quelqu’un qui fait des gestes. Il s’agit généralement de gestes faits naturellement, des deux mains, devant soi.

Mais attention, il ne s’agit pas de faire n’importe quels gestes pour soudainement devenir un bon communicateur. Ni d’apprendre par coeur les « bons gestes » et de les dessiner machinalement dans l’espace.

Le langage du corps traduit les émotions, les états d’âmes et les pulsions qui nous traversent. Pour devenir un bon communicant il faudra donc avant toute chose travailler sur ses émotions, pour pouvoir ensuite libérer son corps.

Dans l’exemple de Doris Leuthard, il faudrait axer une séance de média-training dans laquelle elle pourra approfondir les blocages qui l’empêche de se laisser aller, d’exprimer ses émotions, de s’exprimer de manière authentique. Car ce sont les émotions que nous projettons, que nous osons dévoiler, qui font notre authenticité. Authenticité qui ne sera que la bienvenue dans la relation avec notre public.

Autres axes

1). L’article suisse-allemand, cité ci-dessus, identifie le fauteur de trouble principal chez Mme Leuthard comme étant le téléprompteur duquel la Présidente lit sont texte. Ceci, toujours selon l’article, tue tout effet et met de la distance entre l’orateur et le téléspectateur. S’il n’est pas impossible de paraître à l’aise devant un téléprompteur (on pense à Obama et aux présentateurs du 20 heures) c’est quelque chose qui s’entraîne. Dans le cas présent, ne pas utiliser le téléprompteur aurait effectivement pu amener Doris Leuthard vers un peu plus d’authenticité.

2). Dans le verbal, on notera l’utilisation par M. Ogi de la technique dite de storytelling, ce qui rend l’allocution captivante. Alors que Mme Leuthard s’enlise dans des généralités. Si le storytelling est une technique qui peut s’apprendre, je démontrerai dans un futur billet que les bons communicants l’utilisent de manière naturelle.

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